jeudi 23 mars 2017

Petrus, histoire d’un vin légendaire qui a perdu son château

Oui, le nom actuel sur l’étiquette est Petrus et non Château Petrus. En effet, l’utilisation du mot château implique que la vinification est réalisée sur la propriété (plus de détail dans le billet : Pourquoi château dans les noms de vin?). Or, ce ne fut pas le cas durant de nombreuses années. Depuis 2014, le prestigieux vignoble dispose d’un nouveau chai, qu’on peut découvrir dans ce reportage du magazine Terre de Vins. Mais la marque est maintenant bien établie sous le nom Petrus, sans accent, donc pas de changement en vue.

Photo Flickr par Andrew Phillips
Licence Creative Commons 2.0


Par contre, si vous trouvez de très vieilles étiquettes, vous y verrez le nom Château Pétrus (avec un accent) et la mention Mis en bouteille au Château. C’était du temps où la famille Arnaud était propriétaire de ce vignoble de Pomerol et exploitait la Société Civile du Château Pétrus. Elle y produisait du bon vin, reconnu par des médailles d’or aux Expositions universelles de Paris en 1878 et 1889. De quoi faire de bonnes ventes, mais rien pour concurrencer les grands crus classés du Médoc ou de Saint-Émilion.

Aujourd’hui Petrus est un des vins les plus recherchés de la planète, et donc un des plus chers. En même temps, il cultive son propre mystère – un bon exemple, pas de site Web sur petrus.com, même si le domaine est bien la propriété de l’entreprise puisqu’utilisé pour les adresses de courriel des employés – d’où de nombreuses erreurs et imprécisions qu’on peut lire ou entendre à son sujet. Quelle est donc l’histoire derrière cet extraordinaire succès de marketing qui doit tout à une femme, pourtant étrangère au monde du vin?

Edmond Loubat et son épouse Marie-Louise étaient propriétaires d’une auberge à Libourne, non loin de Pomerol. Marie Louise détecte le potentiel du vignoble Château Pétrus, en achète des parts puis en devient propriétaire en 1945. Le bas des étiquettes indiquera alors : Mme Edmond Loubat, propriétaire à Pomerol. À cette époque, les femmes portaient le nom et le prénom de leur mari, d’où la confusion de certains articles qui parlent d’Edmonde Loubat.

La nouvelle propriétaire ne manque pas de culot et  se lance à l’assaut de la famille royale britannique. Elle réussit à placer ses bouteilles sur les tables du mariage de la future reine Élizabeth, qui apprécie assez ses cuvées pour l’inviter ensuite à son couronnement. En même temps, la très efficace Marie-Louise s’associe avec le négociant bordelais Jean-Pierre Moueix pour l’exploitation du vignoble et les ventes. Celui-ci fera du cru de Pomerol le vin favori de la famille Kennedy et du jet-set mondial, permettant ainsi à la marque Petrus de surpasser les grands crus classés des appellations voisines.

Photo by Benjamin Zingg, Switzerland 
(Own work) [CC BY-SA 2.5], 
via Wikimedia Commons
Mme Loubat n’ayant pas d’enfant, à son décès en 1961 ses héritiers sont un neveu et une nièce. Le reste de l’histoire sera jalonné de tordage de bras, de coups de force et de nombreux procès. Après avoir perdu une poursuite contre sa cousine, le neveu vend rapidement ses parts à Jean-Pierre Moueix, qui devient ainsi propriétaire de la moitié de Petrus. La nièce, Lily Lacoste, lui revendra les siennes quelques années plus tard, mais aura la sagesse d’en garder l’usufruit, ce qui lui permettra d’accumuler une fortune estimée à 60 millions d’euros en 2001. Elle se montrera généreuse pour son entourage, au grand dam des descendants de son cousin, qui voient les perspectives d’héritage fondre. Après une longue guérilla judiciaire, ils réussiront à la faire placer sous tutelle alors qu’elle a 98 ans, mais le juge leur refusera sagement la gérance du magot. Lily meurt en 2006 à 99 ans et le procès se termine en 2010 par un non-lieu.

On remarque que le site de la SAQ désigne encore Mme Lily Lacoste comme propriétaire de Petrus alors qu’elle a vendu ses parts il y a plus de 30 ans et qu’elle est décédée depuis 10 ans. Le propriétaire actuel est Jean François Moueix, un des fils de Jean-Pierre.

Quant à l’origine du nom Petrus, deux versions s’affrontent. Selon certains c’est le nom du lieu-dit où se trouvent les vignes, alors que pour d’autres, c’est la famille Arnaud qui baptisera le vignoble en l’honneur de l’apôtre Pierre, Petrus en latin.

Mais au-delà des anecdotes, des questions de gros sous et des affaires judiciaires, Petrus, c’est avant tout du vin, dont nous allons vous parler dans un autre billet.

À la bonne vôtre !

Alain P.

Pour poursuivre votre lecture historique si le sujet vous passionne :


Aucun commentaire:

Publier un commentaire